Récit de sortie scolaire frustrante

J’avais plus ou moins toujours eu de la chance sur les personnels et médiateurs culturels qui nous ont accueillis. Mais dernièrement, ça se passe moins bien.

Je vais prendre une anecdote qui me reste en travers de la gorge, me fait fulminer et beugler depuis quelques semaines, avec l’impression persistante que personne n’a envie de m’entendre, ou de partager mon sentiment d’outrage.

J’ai participé avec mes BTS et élèves de première à un voyage express organisé par un mémorial. Initiative généreuse, et éclairante s’il en fut. On s’entasse à plusieurs classes dans un avion qui décolle à 3h du mat’ le mardi, et on revient à 3h du mat’ le mercredi. Marathon, nous voilà.

La préparation du voyage, en classe, a été enrichissante : le voyage se faisant sur la base du volontariat, les élèves étaient ravis de participer, et curieux de tout. Les choses se sont davantage gâtées à partir du Jour J.

Nous sommes les seuls de banlieue ce jour-là. Ce programme étant un peu l’usine, les différents participants sont soigneusement choisis, répartis, « équilibrés » d’une semaine à l’autre. Disons qu’on nous remarque.

À l’arrivée, et pour la seconde année consécutive d’après ma collègue, nous sommes dans le dernier bus, le plus éloigné des représentants du conseil Régional qui subventionne le projet. Qu’importe : notre guide est sympathique, les élèves débordent de questions et tout se passe au mieux. Ça n’est apparemment pas suffisant pour l’un des responsables puisque, sur le chemin du retour, inconscient que nous sommes juste derrière lui, il lâche à une de ses collègues que « tout s’est bien passé, à part avec les élèves de ****, mais on les a bien matés ». Ma colère continue lentement de grimper, j’en ai la chique coupée : que répondre ?

Au retour, à l’installation dans l’avion, les élèves sont tous survoltés après une telle journée. Tous les gamins entassés s’échangent leurs places entre eux pour être à côté des copains, mais le groupe de professeures derrière nous semble croire que la responsabilité est uniquement sur nos élèves, et nous enjoint à les « tenir ». Je suis là, au même endroit, mais apparemment, je ne vois pas la même chose : pourquoi? Parce que je les connais ? Que je sais ce dont ils sont capables, ou non ?

La récupération du projet consiste en la confection d’une affiche résumant leur expérience. Pour aller avec, nous décidons d’écrire un petit texte qui résumerait leur expérience.

A la réunion de préparation du discours qu’ils sont censés prononcer, les élèves arrivent tout hésitants. Ils prennent sur leur temps libre, ils devinent que je vais encore demander beaucoup d’eux. Mais rapidement, ils se prennent au jeu. Ils entendent certains se lancer, dire de bonnes choses. Ils se rendent compte que c’est leur expérience, à eux, qu’on a envie d’entendre, besoin d’entendre et ils se lancent. Ils échangent, ils précisent, ils cherchent leurs mots.

Je leur explique en quoi consiste cette cérémonie, ce qu’elle représente. Je leur dis qu’il va falloir un peu changer leur façon de s’habiller pour l’occasion, essayer de marquer le coup. Les protestations s’élèvent. Seul Y***** réclame le droit de porter un smoking et me prouve, photos à l’appui, qu’il a « grave la classe » avec. Les filles râlent à la perspective de porter une robe. Je leur dis qu’un pantalon noir, non troué, suffira amplement.

Mais le mardi matin, à mon premier cours, je les vois tous débarquer superbes, habillés sur leur trente-et-un, élégants et glorieux dans leur jeunesse, gênés d’être aussi beaux. Quant à moi, je suis très fier d’eux, de voir tous les efforts qu’ils fournissent pour quelque chose qui pourtant ne sera pas récompensé par une sacro-sainte note !

Le mini-bus qui nous amène prend le plus long chemin possible. Nous arrivons avec une demi-heure de retard. Une heure et demi à suer devant ma proviseure adjoint, à trépigner à l’idée qu’on arrive en retard et que les élèves ne puissent pas prononcer le discours que je froisse nerveusement dans mes mains. Mais quand nous débarquons enfin, c’est la désillusion.

Une salle morne, grisâtre, pas une chaise et un buffet vide. Les affiches sont disposées tout autour de la salle. Certains élèves sont habillés pour l’occasion, d’autres non. Les jeunes du XVIe arrivent en Louboutin. Ils sont immenses, arrogants, ils ont déjà l’air de sortir d’école de commerce. Je sens les miens nerveux, mal à l’aise. Ils se comparent, forcément, et ont un peu honte d’eux mêmes. Je les rassure, jusqu’à ce que ma gorge se coince quand j’entends qu’ils ne pourront pas dire leur discours. Il aurait fallu l’envoyer auparavant au mémorial qui avait de toute façon déjà choisi les deux intervenants au préalable. Je récrie, je souligne qu’on ne nous a pas prévenu, et comment ont-ils choisi les intervenants de toute façon ? il faut que je me calme, que je reste professionnel face à mes élèves qui soulignent que j’ai vraiment l’air d’avoir « trop le seum ».

Le discours du mémorial finit en beauté, en soulignant la reconnaissance que devraient témoigner les élèves, et le souvenir qu’ils doivent garder de cette expérience « la prochaine fois qu’ils voudront passer à l’acte ». Nous sommes apparemment les heureux bénéficiaires d’une entreprise de dé-radicalisation à coups de voyage scolaire et de buffet froid : on finit en effet par nous servir le « verre de l’amitié », que les membres du Mémorial et du Conseil Régional préfèrent aller savourer dans une salle à part, sans élève, mais avec des chaises.

Merci pour ce moment.

4 réflexions sur « Récit de sortie scolaire frustrante »

  1. Quelle tristesse!
    J’espère que vous allez transmettre votre récit aux différents organisateurs (voire plus haut encore!) pour leur faire prendre conscience leur manque de considération et de pédagogie!
    Je suis certaine aussi que votre désillusion va vous doper plus que vous décourager!
    Bon courage à vous et vos élèves

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  2. C’est chaud comme on dit…
    Ça m’attriste d’autant plus qu’on a de l’empathie pour tes élèves. Eux qui ont pris des risques et se sont investis. J’espère que l’expérience leur laissera des bons souvenirs quand même, et qu’à l’avenir on ait un peu plus de respect pour eux.

    Merci pour tes textes en tout cas, ça fait plaisir de les lire et de réfléchir à ce qu’il y autour.

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